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Selon une idée largement répandue, les obligations corporate des marchés émergents sont synonymes de risques plus élevés pour les investisseurs. Beaucoup de ces derniers préfèrent de fait investir dans leur pays de résidence ou à proximité, comme l’a déclaré Warren Buffett dans un entretien au Financial Times[1]. Il est vrai que les marchés développés d’Amérique du Nord, d’Europe occidentale et du Japon offrent des infrastructures plus stables : ce sont des États de droit, qui disposent de systèmes de réglementations bien établis, avec notamment un régime de droit de la concurrence, des lois régissant l’insolvabilité des entreprises et la surveillance des comportements financiers. Il est assez normal que les investisseurs doutent de la fiabilité des émetteurs obligataires privés opérant sur les marchés émergents (soit l’Amérique latine, le Moyen-Orient et l’Afrique, l’Europe centrale et orientale et l’Asie hors Japon).

La capacité de ces entreprises à honorer leur dette s’avère toutefois supérieure à ce que l’on pourrait attendre. Au cours des deux dernières années, le taux de défaut dans les pays émergents est resté inférieur à celui des États-Unis : le taux de défaut des émetteurs d’obligations à haut rendement (HY) était de 1,87% aux États-Unis fin 2018, alors qu’il s’est maintenu à 1,6% dans l’ensemble des pays émergents sur la même période[2]. Au Moyen-Orient et en Afrique, il est même passé en dessous de la moyenne, à moins de 0,1%. Cette tendance s’est poursuivie au premier trimestre 2019, avec un taux de défaut extrêmement faible, de 0,5%, pour les émetteurs d’obligations corporate spéculatives des marchés émergents[3]. C’est aux États-Unis qu’ont été enregistrés les plus gros défauts de paiement en volume. Pour n’en citer que quelques-uns, Toys R Us s’est placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites en septembre 2017, iHeartCommunications en mars 2018 et Sears Holding en octobre 2018. Ce phénomène s’explique par le fait que 64,6% de la dette corporate mondiale se compose d’obligations et de prêts à effet de levier émis par des entreprises américaines[4]. Plus de 45% du PIB américain comprend des obligations corporate émises par des entreprises n’appartenant pas au secteur financier[5]. Selon un rapport publié par l’institut de recherches BCA Research[6], le taux de croissance de la dette corporate s’est révélé le plus élevé aux États-Unis en 2018, ce qui pourrait poser des risques importants pour l’économie. La dégradation des indicateurs des fondamentaux des entreprises et des prises de risques financiers reflète des mouvements de fin de cycle et un refus de s’engager dans des dépenses d’investissement de long terme[7].

Taux de défaut des obligations HY dans les ME et les MD

 

Taux de défaut des obligations corporate HY aux États-Unis

Source: J.P. Morgan HY Strategy

Des contraintes posées par les notes de crédit, mais les entreprises peuvent prouver leur qualité grâce à leurs fondamentaux

Les obligations corporate émises par les entreprises des marchés émergents ne sont pas fondamentalement plus risquées que celles émises par leurs concurrentes des pays développés. Le lien étroit existant entre la note de crédit souverain et la note de crédit d’une entreprise installée dans ce pays conduit toutefois à se poser la question suivante : pourquoi les notes de crédit des entreprises des marchés émergents fluctuent-elles davantage que celles de leurs pairs des marchés développés ? La réponse est simple. Les notes des entreprises varient en fonction de la note de crédit souverain de leur pays de domiciliation. Cette dernière détermine même l’ampleur d’une révision à la hausse ou à la baisse de cette note. Par exemple, la note de plus de cinq émetteurs corporate turcs a été dégradée à BB- dans le sillage de la révision à la baisse de la note de crédit souverain de la Turquie. Certains émetteurs reçoivent néanmoins une note supérieure à celle attribuée à leur pays. C’est le cas d’Emirates Telecommunications Group, noté AA- par S&P (Aa3 par Moody’s), soit plus que la note de crédit souverain des Émirats arabes unis. Cette évaluation positive du crédit se fonde principalement sur les données financières excellentes du groupe, en particulier un faible ratio d’endettement, et un bilan couvrant largement les intérêts et enregistrant une trésorerie abondante. Le groupe présente aussi l’avantage compétitif de dégager des cash-flows dans plusieurs des pays où il intervient en plus de son pays d’origine, à savoir le Maroc, l’Égypte, le Pakistan et la région d’Afrique centrale. Cela prouve qu’une entreprise opérant dans les pays émergents peut afficher une situation financière aussi solide qu’un de ses concurrents des marchés développés.

 

Répartition du chiffre d’affaires du groupe Etisalat au T1 2018 et Répartition de l’EBITDA d’Etisalat au T1 2018 (8)

 

L’inconvénient des obligations des marchés émergents : des spreads plus élevés

Toute médaille a toutefois son revers. Pour acheter des obligations émises par des entreprises dont la société mère se trouve dans un pays émergent, les investisseurs acceptent des spreads de crédit plus élevés. D’après un rapport publié par le département de recherche crédit de J.P. Morgan[9], les obligations corporate notées A issues des marchés émergents présentent en général des spreads supérieurs de 29 à 50 points de base à ceux des obligations équivalentes émises aux États-Unis, toutes choses étant égales par ailleurs (pari-passu). Cette constatation peut provenir du fait que les marchés financiers prennent en compte la question de la liquidité des marchés émergents dans leur valorisation. Par ailleurs, plus la note de crédit est élevée, plus l’écart par rapport aux valeurs sectorielles d’un même panier de notations est étroit. Ceci explique le niveau élevé des spreads des obligations à haut rendement émises par les entreprises des marchés émergents. Le pays de domiciliation de la société mère joue aussi un rôle. Par exemple, les entreprises russes affichant la note la plus basse pour leurs obligations investment grade, BBB-, enregistrent les spreads les plus importants, supérieurs de 95 à 106 points de base à ceux des émetteurs américains du même secteur. Le spread tient en effet compte des risques de contrepartie mais aussi des risques géopolitiques, tels que l’impact des sanctions américaines sur l’économie russe. Enfin, dans certains secteurs, comme les services bancaires et financiers, les émetteurs des pays émergents affichent des spreads plus élevés (de plus de 100 points de base) que leurs concurrents américains de notation équivalente.

En conclusion, il s’avère assez peu fondé de penser que les obligations corporate des marchés émergents ne représentent pas une classe d’actifs sûre. Une évaluation de crédit exhaustive de ces marchés peut améliorer la diversification d’un portefeuille d’investissements.

 

 

 

[1] The Financial Times, Weekend Long Reads, 25/04/2019

 https://www.ft.com/content/40b9b356-661e-11e9-a79d-04f350474d62

[2] J.P. Morgan Credit Research, EM Corporate Default Monitor, 04/04/2019 https://markets.jpmorgan.com/#research.publication_page&publicationId=9001430

[3] S&P Capital IQ, S&P Global Ratings, Credit Trends Report, 15/04/2019

https://www.capitaliq.com/CIQDotNet/CreditResearch/SPResearch.aspx?&DocumentId=41385845&From=SNP

[4] J.P. Morgan Credit Research, Default Monitor, 02/01/2019

[5] BCA Research, Special Report on the risk from U.S. Corporate Debt : Theory and Evidence by Ryan Swift, 23/04/2019

[6] idem.

[7] The Financial Times, Corporate America is failing to invest, Gillian Tett, 11/04/2019

https://www.ft.com/content/960ec8ec-5c36-11e9-9dde-7aedca0a081a

[8] S&P credit rating report, Emirates Telecommunications Group Company, 11/06/2018

[9] EM vs. US HG Relative Value Report, 22/04/19, by Eric Beinstein & Yang-Myung Hong https://markets.jpmorgan.com/#research.article_page&action=latest&publicationId=9000908

 

 

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