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Avec quelques jours de recul et en attendant d’avoir davantage de précisions sur les grandes orientations de l’administration Trump, voici quelques points qui nous semblent importants

La réaction des marchés :

  • il est intéressant de noter la rapidité avec laquelle les investisseurs/marchés sont passés de « Trump = calamité » à « Trump = sauveur de l’économie américaine ». Intéressant aussi de voir ceux qui parlaient de fortement réduire le rôle de l’Etat, miser sur une forte augmentation des dépenses publiques pour stimuler l’économie ;
  • le marché anticipe une accélération de la croissance à travers notamment une augmentation des dépenses d’infrastructure et une baisse massive des impôts sur les ménages et les entreprises. Il a dès lors révisé à la hausse ses anticipations sur l’inflation et le déficit budgétaire. Ces facteurs ont entraîné une nette remontée des taux obligataires, le rendement de l’emprunt d’Etat à 10 ans passant de 1,80% à 2,3 % en quelques jours; 

 

Taux à 10 ans aux Etats-Unis

 

Source : Bloomberg

 

  • au niveau du marché boursier, les secteurs cycliques et financiers ont été parmi les principaux bénéficiaires, les premiers profitant des attentes de relance des dépenses d’infrastructure, les deuxièmes d’une courbe des taux plus raide et d’une éventuelle dérégulation financière. A l’exception du secteur de la santé (qui redoutait la mesure en place de contrôles plus stricts sur les prix des médicaments), les secteurs traditionnellement considérés comme défensifs ont par contre souffert de la remontée des taux d’intérêt et des incertitudes sur les relations commerciales futures entre les Etats-Unis et le reste du monde. Ces incertitudes (et la crainte de représailles) ont également pesé sur le secteur de la technologie, malgré la possibilité d’une « amnistie fiscale » sur le rapatriement des liquidités que les grandes entreprises du secteur détiennent à l’étranger;

 

Evolution du cours sur 3 mois

 

Source : Bloomberg

 
  • au niveau régional, les marchés émergents ont souffert de l’appréciation du dollar (une partie importante de leur endettement étant en USD), de la remontée des taux obligataires et des craintes de restrictions commerciales, le marché mexicain étant évidemment particulièrement affecté. A l’autre extrême, après un accès de panique initial, le marché japonais a notamment bénéficié de la dépréciation du yen ;
  • les anticipations d’une accélération de la croissance aux Etats-Unis ont également, à travers la remontée des taux obligataires et les attentes d’un resserrement plus marqué de la politique monétaire de la Réserve fédérale, conduit à une appréciation du dollar. Les mêmes éléments sont à l’origine du recul du cours de l’or.

 

Les considérations économiques :

L’élection de Donald Trump représente-t-elle vraiment un changement de paradigme en matière économique ? Voici quelques éléments de réponse :

  • nonobstant les chiffres sur la croissance au troisième trimestre qui témoignaient d'une croissance de 2,9%, contre 1,4% au deuxième trimestre, l’économie américaine montre des signes de ralentissement. (Le chiffre du troisième trimestre s’explique en partie par des facteurs non récurrents). Ce ralentissement est normal, le cycle d’expansion actuellement en cours ayant démarré il y a plus de 6 ans. Il en résulte qu’une grande partie de la demande latente (qui peut s’accumuler en période de récession) est aujourd’hui satisfaite ;
  • même en l’absence d’une éventuelle hausse du taux directeur de la Réserve fédérale début décembre, la remontée des taux obligataires (et donc des taux hypothécaires) et l’appréciation du dollar équivalent déjà à un resserrement monétaire important qui va peser sur la croissance économique. D’autant plus que l’endettement des 3 principaux secteurs non-financiers (ménages, entreprises, secteur public) a continué à fortement augmenter au cours de l’année écoulée (en absolu et en relatif par rapport au PIB) ;
  • le surendettement massif des différents agents économiques rend l’économie très vulnérable à toute remontée des taux. Le faible coût de la dette est la seule raison pourquoi ce surendettement n’a pas encore plongé l’économie en récession. Il se peut que les mesures qui seront mises en place par l’administration Trump créent de l’inflation, surtout si ces mesures vont dans la direction d’un certain protectionnisme en matière de relations commerciales. Il est vrai aussi qu’une des solutions souvent évoquées pour réduire le surendettement consiste à créer de l’inflation, cette dernière diminuant le coût réel de la dette. Toutefois, si la hausse de l’inflation provoque une remontée des taux égale, voire supérieure à celle de l’inflation, l’économie va souffrir ;
  • les attentes placées dans la hausse éventuelle des dépenses d’infrastructure semblent démesurées. Tout d’abord, la grande majorité des dépenses d’infrastructure aux Etats-Unis sont décidées au niveau local et pas au niveau fédéral. Ensuite, les mesures éventuellement prises par l’administration Trump au niveau des dépenses publiques et des réductions d’impôts ne porteront leurs fruits que dans 12 à 18 mois au plus tôt (en supposant que ces mesures soient conçues de façon assez intelligente pour avoir un effet multiplicateur positif sur l’économie).      

En conclusion, l’économie américaine devrait ralentir dans les mois à venir, à moins de penser que l’élection de Donald Trump ne provoque une vague d’optimisme de nature à entraîner une forte augmentation de la consommation et de l’investissement privés. Une telle augmentation ne serait toutefois pas soutenable étant donné la situation financière des ménages et des entreprises.

 

Impact sur notre stratégie d’investissement :

Quelles sont les conclusions à tirer de ce qui précède en matière de stratégie d’investissement ?

  • la réalité économique n’a pas changé en quelques jours. Cette réalité fait que la remontée des taux obligataires dans un environnement de surendettement généralisé va conduire à un ralentissement conjoncturel qui devrait par la suite faire rebaisser les taux obligataires aux Etats-Unis. Pour les autres pays, ceci est moins clair puisque dans ces pays, les taux obligataires étaient tombés à des niveaux qui n’avaient plus aucun rapport avec les fondamentaux économiques, alors que ceci n’a pas été le cas aux Etats-Unis. De plus, pour la zone Euro, il y a d’autres considérations qui pourraient entrer en jeu, telles que de nouvelles craintes sur la périphérie. Après les résultats inattendus du référendum britannique et des élections américaines, les prochaines échéances politiques (référendum en Italie, élections en France et en Allemagne) vont être abordées avec davantage d'appréhension par les investisseurs. Les primes de risque sur certaines classes d'actifs qui sont concernées par ces échéances devraient donc augmenter, surtout si la Banque centrale européenne arrêtait son programme d'assouplissement monétaire quantitatif comme prévu en mars 2017 ;
  • on pourrait arguer que même en cas de ralentissement conjoncturel, les taux obligataires vont continuer à monter, les investisseurs exigeant une prime de risque plus élevée contre une remontée de l’inflation. Il faudra alors surtout voir comment la Réserve fédérale réagirait dans un tel scénario. On peut toutefois s'étonner de la rapidité avec laquelle les attentes du marché sont passées d'un scénario de déflation à un scénario d'inflation. A noter aussi qu'il sera nettement plus facile pour l'administration Trump de mettre en oeuvre un programme de relance économique si les taux restent bas. Une poursuite de la hausse simultanée des taux obligataires, du dollar et du marché boursier américain ne semble par ailleurs pas réaliste, alors que 40 % des revenus des entreprises du Standard&Poor's 500 sont générés en-dehors des Etats-Unis ;
  • si la réaction initiale du marché à la remontée des taux obligataires a été de vendre les entreprises défensives de qualité (souvent considérées comme actifs à duration élevée et donc vulnérables en cas de remontée des taux) pour acheter des valeurs cycliques ou financières, ce genre de rotation sectorielle répond essentiellement à des réactions à court terme de gestionnaires qui se comparent à des indices de référence. Tout d’abord, la surperformance sur le long terme des entreprises de qualité ne dépend pas du niveau des taux obligataires mais est la résultante d’une rentabilité sur capitaux employés nettement plus élevée. Celle-ci leur permet justement de s'autofinancer et de ne pas devoir recourir de manière importante à l'endettement. Sur le plan fondamental, elles sont donc nettement moins affectées par la remontée des taux que les valeurs cycliques qui ont depuis quelques jours la faveur des investisseurs ;
  • ensuite, comme indiqué dans une précédente analyse du blog intitulée "les valeurs de qualité sont-elles trop chères ?", la prime avec laquelle les valeurs de qualité se traitent par rapport au reste du marché n'est pas particulièrement élevée par rapport au passé. En d'autres mots, si la progression des cours de ces valeurs a été nettement supérieure à celle du marché dans son ensemble au cours des dernières années, ce n'est pas parce que ces valeurs sont devenues particulièrement chères, mais parce que leurs fondamentaux ont mieux évolué. Certaines de ces entreprises pourraient évidemment souffrir des mesures prises par l'administration Trump en matière de relations commerciales, mais dans l'ensemble, elles méritent amplement leur prime par rapport au marché ;
  • la seule chose qui semble certaine est que suite à l'élection de Donald Trump, les incertitudes ont augmenté. Ceci ne fait que renforcer la thèse d'investissement en faveur de l'or qui reste une couverture contre les risques financiers qui découlent des politiques monétaires non conventionnelles et d'un niveau d'endettement historiquement élevé ; 
  • à plus long terme et comme nous l’avions déjà écrit après le Brexit, l’élection de Donald Trump reflète une révolte croissante contre l’établissement politique et une perte de confiance dans les institutions politiques et monétaires. Il est difficile de voir comment ceci peut être favorable pour les marchés financiers qui ont été les grands bénéficiaires des principes promus par ces institutions : libre échange, dérégulation, immigration et globalisation. La prime de risque incorporée dans la valorisation actuelle des actifs financiers semble insuffisante pour compenser l’augmentation des incertitudes économiques et politiques.

En résumé, et même s'il est trop tôt pour faire des prévisions définitives, les évolutions sur, et à l'intérieur de, certaines classes d'actifs à la suite de l'élection de Donald Trump ne semblent pas soutenables ou du moins prématurées. Si on ne peut pas exclure que la nouvelle administration réussisse à faire passer des mesures de nature à augmenter le potentiel de croissance de l'économie américaine à plus long terme, les fondamentaux actuels pointent vers un ralentissement de la conjoncture. Si ce ralentissement se confirme, les taux obligataires aux Etats-Unis rebaisseront et la dynamique sur les marchés financiers changera à nouveau. En attendant, les investisseurs semblent ignorer le fait que l'environnement économique et politique est devenu encore plus incertain.

     

 

Guy Wagner, Chief Investment Officer 

D’origine d’une famille d’entrepreneurs au Luxembourg et licencié en Sciences Économiques de l'Université Libre de Bruxelles, Guy a rejoint la Banque de Luxembourg en 1986, où il fut successivement responsable des départements Analyse Financière et Asset Management. Il devient ensuite Administrateur-Directeur de BLI - Banque de Luxembourg Investments, société de gestion nouvellement créée en 2005.

Depuis juillet 2022, il se consacre exclusivement à son rôle de Chief Investment Officer, à la gestion des portefeuilles et à la direction de l’équipe en charge de la gestion des différents fonds.

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