Luxembourg
16, boulevard Royal – L-2449 Luxembourg
 
Lundi au vendredi
8h00 à 17h00

Parmi tous les marchés asiatiques, le marché coréen est probablement celui qui est le plus déprimé en termes de multiples. Les valorisations ne sont pas seulement faibles comparées aux autres marchés dans le monde mais aussi par rapport à leur propre historique.

Le marché se traite à moins d'une fois sa valeur comptable et à seulement 10 fois ses bénéfices estimés pour 2017. Même si l'indice KOSPI vient juste d'atteindre son plus haut historique, il reste néanmoins peu cher car cette hausse a été générée par des révisions à la hausse des résultats des entreprises et non par une augmentation des multiples.

Performance de l'indice KOSPI (échelle de gauche) et ratio cours/valeur comptable (échelle de droite)

Source : CLSA, Quantiwise

Ratio cours/bénéfices du marché coréen et de l'indice des valeurs de la zone Asie-Pacifique

Source : CLSA, Quantiwise

Pourquoi une telle déprime?

1. Trop de liquidités dans les bilans

Au cours des dernières années, les flux de trésorerie des entreprises coréennes ont largement dépassé leurs dépenses d’investissement. En conséquence, les entreprises ont accumulé beaucoup de liquidités dans leurs bilans déprimant davantage encore leur rendement sur fonds propres. Les entreprises coréennes figurent donc parmi les moins endettées au monde. Plus de 40% des entreprises constituant le KOSPI sont dans une position de liquidités excédentaires.

 

Flux de trésorerie opérationnels et dépenses d'investissement de l'indice KOSPI

Source : CLSA, Quantiwise

Trésorerie et équivalents de trésorerie des valeurs de l'indice KOSPI

Source : CLSA, Quantiwise

 

Si ce chiffre est déjà élevé en soi, il sous-estime encore la position réelle de trésorerie des entreprises coréennes car ces dernières détiennent énormément d’actifs non stratégiques comme des participations dans des entreprises sœurs ainsi que leurs propres actions sous formes de "treasury shares".

2. Pilules empoisonnées

Ces titres auto-détenus représentent par ailleurs un moyen efficace de contrer toute tentative d’OPA (Offre Publique d’Achat) hostile. En outre, ils renforcent la participation des actionnaires de contrôle car ces titres n’ont plus de droits de vote. En cas de reprise, la société cible peut vendre ses « treasury shares » à une entreprise affiliée et de ce fait lui redonner les droits de vote associés à ces titres. On se rend bien compte qu’avec ce genre de mécanisme, il est illusoire de voir un groupe coréen subir une OPA hostile par un concurrent et donc cela supprime toute prime de rachat éventuelle.

3. Complaisance du fonds de pension avec les Chaebols*

Le fonds de pension coréen (NPS : National Pension System) gère un portefeuille d’environ USD500 milliards soit 34% du PIB coréen. Ce fonds est actionnaire des plus grands groupes coréens. Etant donné qu’il est sous l’influence du gouvernement, il participe à toutes les manœuvres pour favoriser les Chaebols* (… souvent au détriment des actionnaires minoritaires). Les pressions politiques sur le NPS furent d’ailleurs une des raisons qui ont poussé l’opinion publique à exiger la destitution de l’ex-présidente Park. Ces attitudes complaisantes à l’égard des Chaebols* ne sont pas dans l’intérêt des bénéficiaires du fonds de pension. Le NPS devrait au contraire plaider pour une meilleure gouvernance d’entreprise et une gestion plus efficiente des capitaux en faveur des actionnaires surtout dans un contexte de taux très bas et de vieillissement de la population.

4. Taux de distribution des dividendes le plus faible au monde

Malgré l'abondance de liquidités dans les bilans des entreprises coréennes, les paiements de dividendes (payout ratios) n’ont jamais été aussi bas sur une base historique. Ils sont également les plus faibles au monde à seulement 20% des profits.

 

Ratio cours/bénéfices actuel (axe Y) en fonction du taux de distribution des dividendes (axe X)

Source : CLAS, Bloomberg

5. Une des pires gouvernances d'entreprises en Asie

En Corée, la loi manque de clarté sur les procédures de fusions/acquisitions. Elle n’impose pas la règle de l’offre obligatoire (mandatory bid rule ou MBR) aux actionnaires minoritaires. Cette règle, appliquée dans la plupart des autres pays du monde, force les entreprises acquéreuses à payer le même prix à tous les actionnaires. En Corée, la loi permet à une société acquéreuse de payer un prix différent (souvent bien inférieur) aux actionnaires minoritaires de la société cible. Ces derniers sont souvent abusés par les actionnaires de référence.

Un autre exemple réduisant la crédibilité de la bourse coréenne réside dans les nombreuses fuites d’informations privilégiées (« inside information »). On ne compte plus les cas où des actions réagissent fortement à la hausse (ou à la baisse) sans aucune nouvelle, pour plus tard trouver un communiqué officiel sur ce qui s’est passé réellement. Les entreprises devraient se voir imposer la suspension de leurs cours lorsqu’elles sont en possession d’une information importante qui n’a pas encore été dévoilée.

En outre, en Corée, les sociétés holding qui sont détenues par les familles fondatrices facturent des frais de royalties liés à l’utilisation de la marque à leurs entreprises affiliées. Le problème vient du fait qu’il n’y a pas de lois qui encadre efficacement ces paiements et donc les sociétés holding facturent ce qu’elles veulent à leurs filiales sans considération de ce que vaut réellement la marque ou sur le montant approprié de ces royalties.

Il s'agit ici de sujets très importants qui ont entaché la crédibilité du marché coréen et qui sont responsables de sa décote actuelle.

Comment en est-on arrivé là?

La Corée est un des rares pays au monde à être passé d’un statut de pays très pauvre à celui de pays riche en seulement quelques décennies. Durant les années 70 et 80, l’économie coréenne a multiplié son PIB par 50. Dans le même temps, des groupes comme Samsung ou Hyundai ont multiplié leurs chiffres d’affaire par 630 et 950. Après avoir connu de telles performances, certains groupes ont du mal à reconnaitre qu’ils ne sont plus dans cette phase de croissance et qu’ils doivent dorénavant penser plus à rémunérer leurs actionnaires.

Avant la crise asiatique de 1997, les grands groupes coréens étaient extrêmement endettés car ils bénéficiaient de crédits avantageux de la part des banques contrôlées elles-mêmes par le gouvernement. Suite à cette crise, le gouvernement était en état de quasi faillite avec la moitié des banques et des Chaebols* en cessation de paiement. Après la cure d’austérité imposée par le FMI (Fonds Monétaire International), les mentalités ont changé et une gestion prudente sans dette fut considérée comme plus responsable. Les entreprises se sont alors mises à se désendetter massivement avec pour résultat une structure très conservatrice de leur bilan et en corollaire des rendements sur capitaux relativement faibles.

Suite à la crise asiatique, soulever des capitaux pour financer une acquisition était devenu très compliqué. C’est la raison pour laquelle les autorités ont aboli la loi sur la règle de l’offre obligatoire (MBR) en 1998. Il fût alors possible de prendre le contrôle d’une entreprise sans détenir une partie significative de son capital et surtout sans en payer sa vraie valeur à tous les actionnaires.

Les entreprises coréennes utilisent souvent les liquidités détenues dans leurs bilans pour financer des acquisitions sans considération pour l’intérêt des actionnaires minoritaires. C’est une autre raison pour laquelle les entreprises coréennes regorgent de cash. C’est une source de fonds que les dirigeants peuvent utiliser à leur guise. Cela explique aussi pourquoi ils ne sont pas enclins à payer de plus gros dividendes. Cela augmente leur pouvoir en matière d’acquisition d’actifs sans l’obligation d’en référer aux actionnaires!

Auparavant, le pays taxait les bénéfices non répartis au même titre que les dividendes distribués. Après la crise asiatique, cette loi fût abandonnée dans le but de renforcer la solidité financière des sociétés avec pour conséquence, une accumulation des réserves au sein des bilans des entreprises.

Nous sommes arrivés à la situation actuelle suite à des changements de législation intervenus pour la plupart suite à la crise asiatique. Ces adaptations avaient leur sens dans le contexte de l’époque mais plus aujourd’hui. Les entreprises ont simplement respecté les lois et s’en sont servies à leur avantage.

Pourquoi est-ce intéressant maintenant?

La destitution de l’ex-présidente ainsi que les arrestations du président du groupe Samsung et du patron du fonds de pension (pour corruption) semblent indiquer que les choses pourraient changer. De plus, l’élection récente de Monsieur Moon à la tête de l’Etat sud-coréen est encourageante car la réforme des Chaebols* ainsi que le renforcement des droits des actionnaires minoritaires figurent au cœur de son programme. Le nouveau président vient d’ailleurs de nommer le docteur Kim comme nouveau patron de la FTC (commission anti-trust coréenne). Cette personne est connue pour sa volonté de réformer les Chaebols. Si le nouveau gouvernement parvenait à changer les lois obsolètes évoquées supra, cela pourrait bien conduire à une amélioration de la gouvernance d’entreprises, une amélioration du traitement des actionnaires minoritaires, une augmentation des taux de paiements de dividendes et donc une réduction significative de la « décote » coréenne.

Au vu des expériences passées, beaucoup d’investisseurs restent sceptiques sur les éventuelles améliorations de la gouvernance d’entreprises. Actuellement, la probabilité d’un réel changement est plus importante car le gouvernement de M. Moon possède une grande légitimité pour s’attaquer à ce problème. Il suffit de se rappeler les évènements qui ont débouché sur ces élections anticipées comme le rejet par la population de cette structure de gouvernance qui favorise largement un petit groupe d’élites politiques et économiques qui fut à la base du scandale Park-Choi et des nombreuses manifestations qui s’en sont suivies.

L'événement le plus porteur d’espoir fut certainement la décision inattendue de Samsung Electronics d’annuler toutes ses actions propres (treasury shares). Cette annulation va aboutir à une augmentation des BPA (bénéfices par actions) de 13% une fois l’opération terminée. Cette opération, ajoutée aux décisions de procéder à de nouveaux rachats d’actions ainsi que d’augmenter le dividende, est peut-être un signal que les entreprises coréennes vont enfin réaliser des avancées en matière de retour de capitaux aux actionnaires. Si la plus grande société coréenne montre l’exemple, il n’est peut-être pas illusoire de penser que les autres entreprises du pays suivront.

Enfin, il y a énormément de liquidités en attente d’être investies en Corée. On parle de plus de 1000 billions de won (soit près de 1000 milliards de dollars). Dans le même temps, la Banque Centrale de Corée poursuivra probablement sa politique monétaire accommodante.

Tous ces facteurs devraient soutenir le marché pour les prochaines années.

Notre positionnement

Au cours des derniers mois, nous avons augmenté les valeurs coréennes dans nos allocations. Nous avons investi et/ou augmenté nos positions dans BGF Retail, AmorePacific, Samsung Electronics, Orion, LG Household and Healthcare, Hyundai Mobis et KT&G.

En Corée comme dans tous les autres pays, nous recherchons des sociétés présentant des avantages compétitifs durables, de belles perspectives de croissance et moins cycliques que la moyenne.

Même si les ratios de rentabilité sont plus faibles qu’autre part, nous nous efforçons d’investir dans des entreprises qui génèrent des retours sur fonds propres (retraités du cash) supérieurs à la moyenne avec des flux de trésorerie nette positifs. Des sociétés comme BGF Retail (première chaîne de magasins de proximité en Corée), Orion (leader asiatique dans la production de biscuits, snacks et chewing-gum) et KT&G (première entreprise de production et de distribution de cigarettes et de Ginseng rouge en Corée) sont de bons exemples.

 

 

 

* Ensemble d’entreprises entretenant entre elles des participations croisées. Ces conglomérats entretiennent des relations particulières avec l’Etat et ont souvent bénéficié de ses faveurs. Ces entreprises ont par le passé rarement agi dans le meilleur intérêt des actionnaires minoritaires.

Abonnez-vous
à notre newsletter
E-Mail