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Si le thème de l'investissement durable est largement abordé au niveau de la gestion actions, il l'est beaucoup moins lorsqu'il s'agit d'investir dans des obligations. Pourtant, l'analyse de la durabilité des obligations d'État, et donc des pays, est un sujet qui mérite notre attention, notamment au vu des défis qui se posent. BLI a développé une approche propriétaire visant à évaluer le caractère durable des émetteurs souverains émergents, mais aussi à identifier les dynamiques (positives et négatives) en place.

Les marchés financiers expriment aujourd’hui la durabilité d’une entité selon trois critères : environnemental (E), social (S) et de gouvernance (G).

Par conséquent, lorsque l'on examine le degré de durabilité d'une entreprise ou d'un pays, il est souvent traduit par une note ESG.

Comme il n’existe actuellement aucune norme définie par le marché pour évaluer les critères E, S et G, on ne peut pas comparer de manière exhaustive les notes de durabilité attribuées à une institution par deux chercheurs indépendants ou deux gestionnaires d’actifs distincts.

Contexte

 

Des compagnies pétrolières qui mettent au point des processus de raffinage plus souhaitables aux entreprises qui recrutent leurs salariés en fonction de leurs qualifications et non plus de leur genre, le concept de transition vers un monde plus « affûté » gagne quasiment tous les secteurs. Chaque secteur doit envisager cette transition selon l’angle correspondant à sa problématique.

La richesse de la gestion d’actifs provient notamment des nuances d’opinions et de points de vue et des origines différentes des personnes qui travaillent dans ce secteur. Privilégier l’investissement durable sera ainsi évident pour certains, mais aberrant pour d’autres.

Alors qu’il existe déjà diverses méthodes d’évaluation de la durabilité, elles sont toutes soumises à l’interprétation donnée à cette notion et fonction des particularités d’une classe d’actifs.

L’attrait présenté par le marché des actions ces dix dernières années, conjugué à un intérêt constant pour la gestion active de portefeuilles durables, a placé cette classe d’actifs au centre de l’évaluation de la durabilité.

Plus récemment, les gestionnaires d’actifs ont élaboré des approches durables en matière d’investissement dans les obligations d’État.

Pour répondre intégralement aux impératifs d’une stratégie d’investissement active et durable, cette approche doit être robuste, dynamique et complète.

Il s’avère indispensable de se fonder sur un cadre solide reposant sur des données quantitatives. Si ce dernier est souvent utilisé pour déterminer le degré de durabilité d’une économie, il doit s’accompagner selon nous d’une analyse continue et pouvant être interprétée. L'interprétabilité doit apporter l’effort et l’engagement de la transparence, tandis que le dynamisme doit représenter l’évolution permanente des informations.

Introduction

 

Le présent article s’intéresse aux pays émergents. Depuis cinq à dix ans, les taux d’intérêt bas (ou négatifs) des marchés développés favorisent les obligations souveraines des économies émergentes dans l’allocation d’actifs des stratégies obligataires.

Nous proposons aujourd’hui une méthode pour évaluer et interpréter l’évolution continue du profil de durabilité des pays émergents.

Nous présenterons tout d’abord l’environnement dans lequel se place cette analyse, puis expliquerons la méthode elle-même. Elle comprend deux approches distinctes mais complémentaires, qui répondent aux critères de robustesse et de dynamisme cités plus haut.

Enfin, nous verrons comment nous pouvons utiliser ce travail d’analyse en mettant en perspective notre allocation pays pour l’examiner au regard des Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD).

Cadre d’analyse

 

Une analyse ESG a pour objectif de mesurer les risques humanitaires et naturels dont tiennent compte les réglementations, les populations et les investisseurs.

En étant à l’écoute de la motivation des jeunes entrepreneurs et en tenant compte des mouvements collectifs qui veulent atténuer (pour le moins) les effets du changement climatique et apporter plus d’égalité, nous constatons qu’en 2020, donner une orientation durable à une économie peut offrir des opportunités, apporter des investissements à un pays et peut-être, à long terme, rendre cette économie plus saine et plus viable.

À l’inverse, un pays qui ignorerait ces prises de conscience croissantes risque d’aller au-devant de nouvelles difficultés.

Nous pouvons citer l’exemple de l’Afrique du Sud pour illustrer nos propos.

D’après l’indice du Conseil mondial de l’énergie, le secteur énergétique de l’Afrique du Sud n’est pas bien gouverné.

En raison de l’inactivité des pouvoirs publics dans le domaine des énergies renouvelables, le pays reste fortement dépendant du charbon.

Toutes choses égales par ailleurs, si le gouvernement sud-africain avait garanti un niveau minimum de production énergétique (en énergie renouvelable, par exemple), la position financière du pays pâtirait moins de la situation d’Eskom[1], qui a besoin d’une aide financière importante et rencontre de graves difficultés de production.

Cela dit, il n’est pas facile de comprendre et de comparer les niveaux de durabilité d’un pays. Les différentes parties de l’analyse sont en effet soumises à de nombreuses contraintes.

  • Bien qu’il existe des données portant sur les critères ESG d’un pays, ces données ne sont souvent pas à jour à l’échelle mondiale. L’agrégation des indicateurs publics prenant du temps, les données peuvent présenter un décalage de deux à dix ans et sont mises à jour tous les deux à quatre ans. Cet effet est encore plus accentué avec les pays émergents. Ce décalage limite notre capacité à évaluer de manière dynamique la durabilité relative d’un pays.
  • Outre la disponibilité des données elles-mêmes, il faut aussi réussir à harmoniser les mesures de durabilité entre les différentes classes d’actifs et les différents gestionnaires d’actifs sans perdre leur esprit global.

 

C’est pourquoi BLI a élaboré une approche propriétaire structurée qui vise à résoudre ces difficultés.

Une approche à deux niveaux

 

Une note souveraine ESG a pour objectif d’évaluer la durabilité d’un gouvernement, de son économie et des réformes mises en œuvre.

En tenant compte du contexte et des difficultés présentés ci-dessus, il est indispensable de définir un cadre solide comprenant une note fondamentale fondée sur des données ESG quantitatives (1er niveau) et une note de dynamisme attribuée à l’issue d’une analyse continue des informations qualitatives de chaque pays (2e niveau).

Premier niveau

 

Le premier niveau représente la note ESG fondamentale d’un pays. Autrement dit, c’est la position relative d’un pays sur le plan environnemental, social et de la gouvernance.

Pour parvenir à cette note, nous nous sommes efforcés de trouver des indicateurs. Après avoir étudié plusieurs bases de données[2], nous avons finalement limité nos recherches à des indicateurs agrégés[3] ou à des indicateurs de données brutes. Nous avons sélectionné ces derniers en nous concentrant sur deux composantes principales :

  • la source des données,
  • la date et la fréquence de mise à jour des données.

 

La note souveraine ESG devant également refléter d’éventuels risques futurs, lors de l’agrégation des trois notes, E, S et G, nous attribuons un poids supérieur à la gouvernance mais des pondérations identiques aux valeurs environnementales et sociales.

Nous surpondérons la gouvernance car nous estimons que les pays émergents ont avant tout besoin de stabilité politique, ainsi que de la création (et du maintien) d’infrastructures (réseau routier viable, système de distribution de l’énergie) pour pouvoir mettre en œuvre des réformes sociales ou environnementales pérennes.

Nous parvenons ainsi à une note agrégée qui représente la durabilité relative d’un pays.

Le diagramme de dispersion ci-dessous illustre la position relative des pays en fonction des critères ESG.

Alors qu’il existe des liens limités entre les critères environnementaux et sociaux, l’on constate une assez bonne corrélation entre les critères sociaux et de gouvernance, mais des liens moins évidents entre critères de gouvernance et environnementaux. C’est surtout le cas des pays exportateurs de pétrole comme l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou le Qatar, qui affichent une note de gouvernance supérieure à la moyenne.

 

 

Deuxième niveau

 

Pour obtenir un aperçu complet du profil ESG d’un pays (et des risques associés), il faut pouvoir tenir compte des différentes tendances qui existent, qu’elles soient positives ou négatives. Comme nous manquons de données quantitatives récentes, nous avons choisi d’analyser de manière continue et systématique les informations qualitatives (actualité, articles, etc.) relatives à chaque pays, provenant de sources précises.

Pour rationaliser nos travaux, et surtout pour pouvoir comparer de façon objective les données concernant l’actualité/les réformes/les sentiments de la population, nous nous appuyons sur les progrès accomplis dans le domaine de l’intelligence artificielle et du traitement du langage. Nous avons ainsi implémenté un modèle de langage universel affiné[4] à chaque critère ESG (ULMFIT[5] et RoBERTa[6]).

Chaque semaine, des analyses pays centrées sur les critères ESG sont intégrées au modèle ULMFIT. Les résultats suivent une distribution sigmoïde[7] positivement ou négativement biaisée selon le point de vue de l’analyste sur son évaluation des critères E, S ou G.

Ce deuxième niveau permet de suivre en continu la durabilité relative des pays émergents et de voir si une tendance durable positive ou négative dans un pays donné peut entraîner une amélioration ou une dégradation des fondamentaux à moyen terme.

Cette méthode nous aide à comprendre pourquoi un pays présente une note ESG meilleure ou moins bonne. Ce cadre nous donne la possibilité de construire notre propre interprétation de la situation d’un pays et de prendre une décision d’investissement ou de désengagement à moyen terme.

Voici quelques exemples de phrases utilisées dans nos analyses et de la note qui a été attribuée pour le critère Gouvernance après le passage dans le modèle ULMFIT :

  • The Economist, 13 mars 2020 : « Chile’s police force is brutal, corrupt and incompetent. They need to be thoroughly reformed ».
    (La police du Chili est brutale, corrompue et incompétente. Elle doit être totalement réformée.)

-> Note = 0,08

  • Banque asiatique de développement, 11 février 2020 : « Today is international day of women and girls in science. We are working with Sri Lanka to boost the number of girls enrolling in stem subjects by upgrading their science programs and improving learning environments in schools ».
    (C’est aujourd’hui la journée internationale des femmes et des filles dans les sciences. Nous travaillons avec le Sri Lanka pour accroître le nombre de filles qui s’inscrivent dans les matières scientifiques et techniques en modernisant les programmes et en améliorant les conditions d’apprentissage dans les écoles.)

-> Note = 0.84

Utiliser les notes ESG pour montrer leur impact

 

Enfin, en comparant l’allocation pays de nos portefeuilles au cadre défini pour les ODD des Nations Unies, nous pouvons mettre en perspective notre travail d’allocation d’actifs et évaluer l’impact ESG de nos décisions d’investissement.

Les notes peuvent être vues comme la part en pourcentage du chemin déjà parcouru pour réaliser les ODD 2030. « 100 » indique par exemple que l’objectif de cet indicateur a été atteint.

Sources : Bertelsmann Stiftung et Sustainable Development Solutions Network (SDSN), BLI

 

Ce cadre ne peut toutefois pas servir d’outil principal pour élaborer une stratégie ESG dans la mesure où il souffre du même problème de retard ou de décalage des données qui a été exposé plus haut.

Il fournit néanmoins une base de comparaison intéressante et permet de rendre compte précisément de l’impact de l’allocation pays.

Conclusion

 

La création d’une note ESG nous permet d’appréhender plus clairement les éléments utilisés par le secteur pour définir le degré de durabilité d’un pays. Même s’il existe un très grand nombre de données sur les différents aspects de la durabilité et leurs très nombreuses ramifications, il est encore trop tôt dans la transition pour pouvoir prétendre établir une analyse dynamique fondée sur ces données statiques exclusivement quantitatives.

Le fait que notre analyse prenne uniquement en compte les pays émergents accentue encore le problème de la lenteur de l’actualisation et de la constitution des données extra-financières. Ce phénomène s’explique notamment par l’absence de mesures incitatives ou de priorités dans ces pays. Si dans les pays développés, l’importance croissante accordée au développement durable dans les différentes couches de la société s’oppose à l’absence de prise de conscience en matière environnementale, sociale ou de gouvernance, cette inertie reste encore très limitée dans les pays en développement.

La transition a toutefois commencé. Depuis plusieurs années, des pays émergents montrent la voie dans certains aspects du développement durable (voir par exemple les efforts déployés par l’Uruguay dans l’environnement) et en entraînent d’autres dans leur sillage. Du côté de la gestion d’actifs, l’évolution constante des mentalités et des puissances et techniques de calculs ouvre de nouvelles perspectives pour l’analyse de la durabilité des pays. Cela nous permettra de savoir où se situent les possibilités d’amélioration.

 

 

_________________

[1] Eskom est une compagnie électrique publique sud-africaine qui fournit 95 % de la production électrique du pays.

[2] Les sources varient selon le but de l’indicateur. Voici celles qui sont le plus souvent utilisées : Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophe / Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture / Organisation internationale du travail, WHO-UNICEF Joint Monitoring Programme for Water Supply, Sanitation and Hygiene / Observatoire mondial de la santé, OMS / Base des Indicateurs du développement dans le monde, Banque mondiale / Compétences pour l'employabilité et la productivité (STEP), Banque mondiale / Bureau national des statistiques.

[3] Des organisations bien connues ont déjà mené des recherches approfondies pour présélectionner et agréger des indicateurs (indicateurs de la gouvernance dans le monde établis par la Banque mondiale, par exemple).

[4] Ou Universal Language model fine tunned en anglais.

[5] Le modèle ULMFIT a été élaboré par Jeremy Howard et Sebastian Ruder. Pour plus d’informations, veuillez consulter la page https://arxiv.org/abs/1801.06146. Son implémentation a été effectuée grâce au package fastai python.

[6] Le modèle RoBERTa est un modèle Facebook amélioré de BERT (google). Pour plus d’informations, veuillez consulter la page https://ai.facebook.com/blog/roberta-an-optimized-method-for-pretraining-self-supervised-nlp-systems/. Il a été implémenté grâce au package Hugging face- transformers python.

[7] Fonction de distribution sigmoïde : fx=11+e-x. Elle représente une courbe en forme de S comprise entre (0,1). Pour plus d’informations, voir Weisstein, Eric W. « Sigmoid Function ». Dans MathWorld--A Wolfram Web Resource. https://mathworld.wolfram.com/SigmoidFunction.html

 

Maxime Smekens

Maxime Smekens, Co-Fund Manager

Maxime est titulaire du diplôme d’Ingénieur de Gestion de l’Université Catholique de Louvain. Fraîchement émoulu de l'université, Maxime Smekens rejoint BLI - Banque de Luxembourg Investments en mars 2019.

Il intègre l’équipe de Gestion Obligataire en tant qu’analyste sur la dette des pays émergents. Les marchés émergents lui sont familiers puisque Maxime passe une partie de sa vie entre l’Asie et l’Europe de l’Est. Dans le cadre de ses études, Maxime développe un intérêt non seulement pour l’analyse des impacts macroéconomiques globaux sur les marchés mais aussi pour l’analyse quantitative financière. Sa première expérience en gestion d’actifs se fait chez Belfius où il élabore une plateforme de screening de fonds suivant des critères E.S.G. (Environnemental, Social et Gouvernemental).

 

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